Ce que la recherche nous apprend sur le développement des habitudes alimentaires chez l’enfant.
Personne ne s’étonne lorsqu’un adulte raconte avoir vidé un paquet de chips à cause du stress, ou englouti un pot entier de glace parce qu’il se sentait triste. L’alimentation émotionnelle est tellement intégrée dans notre culture qu’elle passe inaperçue. Mais quand il s’agit de nos enfants, instinctivement, on sait que ce n’est pas ce qu’on voudrait leur transmettre. Alors… que faire ? Est-ce inévitable ? Et si non, comment accompagner autrement ?
La recherche scientifique nous éclaire sur les mécanismes de l’alimentation émotionnelle chez l’enfant – et sur les moyens de prévenir son installation.
"Je mange mes émotions."
Il s’agit du fait de manger en réponse à une émotion, et non à une faim réelle. Ce comportement est souvent dissocié des signaux internes de faim ou de satiété. Il sert à se distracter d’un inconfort émotionnel, ou à apaiser un ressenti négatif. Et il peut aussi se déclencher face à des émotions positives.
Parmi les émotions les plus fréquemment associées à ce type d’alimentation, nous retrouvons l'anxiété, la tristesse, l'ennui, la solitude, l'insécurité.
Ce phénomène n’épargne pas les plus jeunes. Jusqu’à 63 % des enfants auraient recours à l’alimentation émotionnelle. (Oui, 63 % 🫠)
Parce que malgré sa banalisation, l’alimentation émotionnelle n’est pas anodine.
Les recherches montrent qu’elle est associée à plusieurs conséquences négatives :
∙ risques accrus des TCA - troubles des conduites alimentaires ;
∙ dégradation de l’image corporelle ;
∙ augmentation de la consommation d’aliments sucrés, salés ou transformés ;
∙ déconnexion des signaux de faim et de satiété.
Des études montrent même qu’en travaillant sur la diminution de l’alimentation émotionnelle chez les enfants, nous améliorons en parallèle leur image corporelle. (Double effet bénéfique.)
Et les recherches montrent que l’approche opposée — à savoir l’alimentation intuitive (manger quand nous avons faim, s’arrêter quand nous sommes rassasié·es) — est systématiquement associée à une meilleure santé, aussi bien mentale que physique
Non.
Sur le plan biologique, le système nerveux inhibe la digestion en cas d’émotion intense, car l’énergie du corps est redirigée vers la survie. (Imagine fuir un danger, et devoir t’arrêter pour une pause snack... plutôt peu stratégique.)
C’est pourquoi la recherche soutient l’idée que l’alimentation émotionnelle est un comportement acquis, et non inné. Cette hypothèse est aussi soutenue par les études génétiques, qui montrent que ce comportement ne semble pas inscrit biologiquement dès la naissance.
Et ce n’est pas tout. Les recherches sur le développement des comportements alimentaires chez l’enfant montrent que :
∙ Les jeunes enfants ont tendance à manger moins sous l’effet d’émotions fortes (ce qu’on appelle l’"emotional undereating").
∙ Puis, entre 4 et 10 ans, on observe une transition vers une tendance à manger davantage en réponse aux émotions.
Les scientifiques spéculent que cette transition s'explique par un apprentissage progressif : quand les émotions et la nourriture sont régulièrement associées dans la vie quotidienne (ex. : un goûter systématique après les pleurs ou un biscuit à chaque chute), l’enfant intègre inconsciemment ce lien.
Et c’est ici que ça devient intéressant (et porteur d’espoir) :
Si ce comportement est appris, il peut potentiellement être prévenu.
Et ce sont les adultes qui en ont la clé. ✨
Les études montrent que les pratiques parentales ont un rôle central. C’est là que cela devient intéressant (et responsabilisant — sans culpabilité, promis 🫶). Parmi les comportements fréquemment observés :
C’est quand on nourrit l’enfant en réponse à son humeur : « Tu es triste ? Prends un gâteau, ça ira mieux. »
Ce comportement est plus fréquent chez les enfants au tempérament difficile, car les parents cherchent à apaiser le conflit ou la détresse rapidement.
Plusieurs études (ici et là) identifient des liens entre certains comportements éducatifs et l’apparition de l’alimentation émotionnelle chez l’enfant :
∙ Récompenses alimentaires : « Si tu es sage, tu auras un dessert. ».
∙ Offres de nourriture dans des contextes émotionnels (ex. séparation, anxiété).
∙ Utilisation d’aliments préférés comme distraction ou consolation.
∙ Interdiction excessive de certains aliments pour des raisons "de santé", même en petites quantités.
Ces stratégies transmettent à l’enfant l’idée que la nourriture peut, ou doit, réguler ses émotions. La nourriture prend le rôle d'outil de gestion émotionnelle, plutôt que de carburant pour le corps.
Voici 6 leviers concrets, issus des recherches citées, pour aider votre enfant à construire un rapport plus sain à son alimentation :
Aidez votre enfant à percevoir les aliments comme des sources d’énergie, de plaisir et de découverte – pas comme des outils pour gérer ses émotions. Ce n'est pas une béquille émotionnelle.
Évitons les étiquettes “bon” / “mauvais” / “sain” / “pas sain”.
Enfant ou adulte, manger en conscience change beaucoup de choses. L’idée ? Engager les 5 sens pendant les repas. (Les écrans ne sont donc pas les bienvenus.)
Vous pouvez lui des questions sensorielles, par exemple :
∙ À quoi ça ressemble ?
∙ Quelle est la texture ?
∙ Ça sent quoi ?
∙ Est-ce que tu as encore faim ?
∙ Comment ça se sent dans ton ventre après le repas ?
L’objectif : l’aider à rester connecté·e à ses ressentis internes.
Le parent décide du quoi, du quand et du où.
L’enfant décide du combien et du si.
Oui, ça veut dire que l’enfant peut choisir de ne rien manger. Et c’est OK.
Cela lui apprend à écouter son corps (et lui donne de l’autonomie, ce qui est précieux dans son développement).
Ne classez pas les aliments en "bons" ou "mauvais".
Les aliments “interdits” deviennent ultra-désirables. Les recherches montrent que restreindre des aliments (même pour de « bonnes raisons ») peut augmenter l’obsession pour ces aliments sur le long terme.
Laissons la place à tous les types d’aliments, sans diabolisation.
Est-ce que vous mangez pour vous réconforter ? Culpabilisez-vous ?
Utilisez-vous la nourriture comme récompense ?
Vous basez-vous sur votre faim réelle pour manger ?
Votre exemple compte énormément. Plus nous sommes à l’aise avec notre propre rapport à la nourriture, plus nous offrons un modèle sécure à nos enfants. Et si vous sentez que c’est difficile à réguler, vous pouvez me contacter pour un suivi (manon@amapola.care).
Pour que l’enfant ne dépende pas uniquement de la nourriture pour faire face à ses ressentis, proposez-lui des alternatives :
∙ exercices de respiration ;
∙ espace calme ;
∙ musique ;
∙ jeux sensoriels ;
∙ temps de parole émotionnel ;
∙ visualisation, auto-massage, etc.
Et surtout : entraînons ces compétences quand tout va bien. Pour que, le jour où cela explose, elles soient déjà présentes en mémoire.
L’alimentation émotionnelle est un phénomène courant, pas une fatalité.
Et surtout, c’est réversible.
Elle s’apprend, donc elle peut se désapprendre.
En tant qu’adultes, parents, proches, thérapeutes… nous avons ce super-pouvoir de leur transmettre autre chose. Un lien à la nourriture plus doux, plus intuitif, plus libre.
Et croyez-moi : c’est un cadeau immense pour leur futur.
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